Bactory, Grand Prix du Jury de la Scientific Game Jam 2023, est un jeu d’arcade en 2D dans lequel les joueurs, en quête de productivité, font travailler des bactéries pour produire des canards en plastique. C'est un jeu conçu par une équipe de six personnes, en 48h et en partenariat avec un docteur en biologie, à partir de son travail de thèse. D’une simplicité addictive, le jeu glisse peu à peu vers une réflexion sociale : tout en maximisant son score, on réalise qu’on est soi-même pris dans un cycle d’exploitation.
Mécaniques de Jeu : maintenir l'équilibre productif
Jeu d'arcade, Bactory se joue uniquement à la souris pour accomplir les actions suivantes :
- Appuyer sur des boutons pour allumer des faisceaux lumineux, secouer la boîte ou récolter.
- Pousser les bactéries flottant dans une boîte de Petri vers ou hors des faisceaux.
Les tâches qui reviennent aux joueurs sont simples en apparence, mais le défi réside dans le maintien d'un équilibre délicat. Le joueur, nouvel employé de la start-up créée par un docteur en biologie, doit gérer la reproduction des bactéries et leur production de glycérol. Le joueur est donc amené à alterner entre repos, reproduction et travail, en évitant la mort ou les mutations qui les rendraient inefficaces.
Deux messages : pédagogie et satire sociale
Pendant le brainstorming, le discours qui se déployait pour parler de la production des bactéries, de leur épuisement, de la gestion de leur repos... tout cela m'a donné l'envie de faire du jeu une métaphore à la condition de travailleur. Le jeu déploie donc deux messages :
- Un message pédagogique : il s'agit de découvrir la thèse sur la production de glycérol par des bactéries et le travail pour l'optimiser par la lumière.
- Une critique sociale : on se met dans la position de celui qui exploite les bactéries, pour comprendre que l'on est soi-même pris dans un processus similaire.
Plaisir Immédiat
Pour que le discours critique fonctionne, il faut que les joueurs s'amusent dès les premières secondes. Bactory offre au départ une expérience de jeu simple et accessible, avec des contrôles intuitifs : pousser de petites bactéries, les voir flotter, rebondir, et se multiplier. Un bouton "shake" apporte une touche de chaos amusante en permettant d'agiter la boîte de Petri et de voir la masse des microbes s'agiter.
Jongler avec la Mort et la Mutation
Progressivement, le jeu change de ton. À l’image de grands classiques de l'arcades, comme Tetris, la difficulté augmente au fil du score. L'idée est de voir augmenter le nombre des outils et des tâches, ainsi que la fréquence avec laquelle les bactéries mutent et meurent. On doit alors jongler avec les clics pour maintenir la production de glycérol, tout en observant un score de mortalité qui grimpe inexorablement et une masse de bactéries mutantes en grève.
À mesure que la situation devient insoutenable, un choix s’impose : tirer le levier de récolte au bon moment pour finir sur un score positif, ou risquer la cadence infernale et perdre dans un game over. Ce choix crucial symbolise la nécessité de décider quand arrêter le cycle d'exploitation.
À la fin : stop ou encore ?
La fin d'une partie était l'occasion de proposer aux joueurs de quitter le jeu en refusant de continuer une situation infernale. Que l'on perde ou non, le chef de la start-up propose toujours de recommencer. Toutefois, les joueurs ont l'option de démissionner et ce choix déclenche un dialogue où l’employeur utilise des techniques manipulatoires pour les convaincre de rester. Pour se libérer, on doit finir par déclarer : "Je ne suis pas une bactérie."
Le défi des outils
Dans Bactory, les joueurs disposent donc de plusieurs outils pour manipuler et exploiter les bactéries, avec un contraste marqué entre douceur et complexité absurde.
- Le geste de pousser les bactéries est fluide et agréable - presque une caresse. Un mouvement simple et satisfaisant.
- Les boutons et leviers sont bien plus exigeants. De formes variées, lumineux ou discrets, ils ont des fonctions parfois ambiguës. A mesure que le jeu s'accélère, cette complexité requiert de plus en plus de combinaisons rapides, obligeant les joueurs à cliquer à des endroits éloignés les uns des autres dans une logique peu intuitive. C'est une véritable inversion des règles du design des objets qui est à l'oeuvre. Si le jeu avait dépassé le stade de concept, le principal défi de game design aurait été de trouver l'équilibre entre plaisir et frustration.
Deux boutons libérateurs
Deux boutons se démarquent cependant dans ce dispositif, ils sont sensés être des phares dans le chaos d'un jeu à devenir fou.
- Le bouton "shake", utilisé au début du jeu pour s’amuser à agiter la boîte de Petri et voir les bactéries se disperser, devient un recours inattendu face à la surcharge mentale des joueurs. Dans un geste exutoire, il permet de secouer le jeu, à la manière d’un flipper, pour libérer la pression et s'offrir un moment de suspension.
- L’immense levier de récolte trône comme une invitation constante. Contrairement aux autres boutons, ce levier est large, facile d’accès et son libellé est évident ; il symbolise la possibilité de tout arrêter à tout moment. L'actionner est un geste de fin : fin du score, mais aussi fin de la surcharge mentale.
Ouverture du concept
Bactory aurait pu évoluer en intégrant des mécaniques de roguelite. La récolte aurait permis d’acheter de nouvelles fonctions, créant un arbitrage du risque et approfondissant la réflexion sur la culture du crunch et l’épuisement au travail.