Droite 1968.

Jeu sur la violence militante

Détail

Droite 1968 est un jeu explorant le militantisme de la droite gaulliste dans l'après-Mai 68. Récompensé par deux prix, dont celui du public, il a été réalisé en 48h par une équipe de six personnes, lors de la Game Jam des Rendez-vous de l’Histoire. Écrit à partir de la thèse d'un docteur en histoire, il place les joueurs dans la peau d’un chef local chargé d'encadrer de nouveaux militants. En surface, l’objectif est simple : écouter chaque recrue et lui assigner une mission appropriée pour faire élire un député gaulliste. Mais le jeu, à travers ses choix et ses sous-textes, aborde des questions plus complexes sur la violence et les fantasmes propres à cette droite traditionnelle.

Dans les rouages du militantisme : gameplay et exploration narrative

Conçu sous une forme proche des visual novels, Droite 1968 se joue entièrement à la souris. Les joueurs incarnent un chef de bureau militant, en vue subjective, face à des recrues. Chaque militant se présente et répond à deux questions, dévoilant des aspects de sa personnalité. À partir de là, il s'agit de choisir l’une des trois missions proposées pour chaque recrue, validée par un long clic. Le résultat s'affiche ensuite, précédé d'une annonce radiophonique ou téléphonique relatant un fait historique ou une déclaration politique authentique, révélant le climat de tension politique de l'époque.

Stratégie ou prise de position politique : un jeu aux objectifs multiples

Le défi principal pour les joueurs réside dans leur compréhension de la personnalité de chaque militant et l’attribution de la mission la plus appropriée. Ce choix est teinté d'un dilemme moral : souhaite-t-on vraiment faire gagner ce parti ? Le joueur est libre de saboter la campagne en choisissant des missions inadaptées, sans risque de game over. Au contraire, les résultats de ces missions ratées peuvent être encore plus riches en contenu historique et humoristique. En poussant cette logique jusqu’au bout, il est possible de causer un échec complet de la campagne du candidat gaulliste, un dénouement qui peut réjouir certains joueurs.

À travers ces choix, le joueur découvre aussi des aspects sombres du militantisme de cette droite traditionnelle : une dimension complotiste et une violence qui ont pu aller jusqu’au meurtre. Ce contexte amène une réflexion : contribuer activement à la victoire du député est-il vraiment satisfaisant ? Inspiré par l'esprit de du jeu Papers, Please, les conséquences des missions et les rappels historiques diffusent une ombre, pouvant amener les joueurs à douter de leurs décisions : cette fin justifie-t-elle de tels moyens ?

Un air d'ironie : entre humour et historicité

Droite 1968 plonge le joueur dans le rôle d’un chef de bureau militant gaulliste, assumant pleinement ce point de vue avec une ironie narrative marquée. Les visuels, les personnages et les anecdotes semblent parfois caricaturaux, mais chaque élément s’inspire de sources historiques vérifiées : archives, témoignages, rapports de police tirés de la thèse de l’historien. Cette approche met en lumière des facettes presque grotesques de ce militantisme, sans basculer dans la caricature totale. En jouant sur les excès et les contradictions du discours militant de l’époque, l’ironie permet au joueur de prendre du recul, de percevoir la réalité de l’engagement gaulliste sans pour autant être enfermé dans un point de vue premier degré. L’équilibre entre humour et authenticité donne ainsi au joueur une distance critique tout en restant fidèle à la véracité historique, invitant à une réflexion sur la violence et la tension sociale qui traversaient cette période.

Des militants aux profils variés, entre stéréotypes et complexité

Chaque militant incarne une facette du militantisme gaulliste en 1968, reflétant la diversité des motivations, des profils socio-économiques et des degrés de radicalité dans les opinions et les moyens d’action. Ces personnages illustrent aussi une progression en difficulté : certains, stéréotypés, révèlent facilement leur personnalité, tandis que d’autres — plus complexes et ambigus — nécessitent une analyse plus subtile de leur discours pour éviter de leur assigner une mission inappropriée. Le dernier militant, en particulier, tend souvent à piéger les joueurs : sous un discours d’apparence intellectuelle se cache en réalité un esprit illuminé. Ce personnage est essentiel dans le contexte actuel de complotisme et de post-vérité ; il rappelle que ces dérives ne sont pas réservées aux personnes les moins éduquées.

L’art des narramiettes : une écriture condensée et efficace

Un des défis d’écriture consistait à condenser un propos historiquement fidèle, clair pour le gameplay, divertissant pour préserver la légèreté du ton, et suffisamment court pour être lu rapidement. Pour cela, je me suis inspiré du concept de storylet (ou narramiette, un terme joliment traduit par Hugo Labrande), des unités narratives autonomes et modulables. Le texte est également formaté avec des couleurs et des mots en gras pour permettre une lecture rapide sans perdre d’éléments importants. Plusieurs versions ont été testées et itérées, et les retours reçus ont confirmé que cette mise en forme apportait une expérience de lecture plus fluide.

Fin cachée et récompense : une double lecture

Droite 1968 propose deux fins principales : la réussite ou l’échec de la campagne du député gaulliste. Cependant, pour les joueurs qui réalisent un parcours parfait en associant chaque recrue à la mission idéale, une fin cachée se dévoile sous la forme d'une lettre personnelle du Général De Gaulle, inspirée d’une lettre réelle qu’il avait adressée à ses militants. Cette récompense enrichit l’immersion historique et souligne la frontière ambiguë entre engagement politique sincère et soumission patriarcale au chef. Par le biais de cette fin alternative, Droite 1968 permet au joueur de toucher du doigt la ferveur et l’idéologie de l’époque, tout en l’incitant à questionner la complexité des pratiques militantes.

 

 

 

Data

Année : 2024

Rôle : co-créateur

Lien : Droite 1968

Fonctions : Game Designer, Narrative Designer, Writer, Producer

Évènement :  Game Jam Les Rendez-vous de l'histoire 2024

Distinction : Prix spécial du jury, Coup de coeur du public

Membres notables du jury : Thierry Noël, Quineapple, Vanessa Chicout

Document : Interview par Fiction-interactive.fr