Le Foyer est une fiction interactive textuelle créée pour le Concours de Fiction Interactive Francophone 2024. Dans ce jeu narratif à choix multiples, on incarne un étudiant découvrant un foyer dans une grande ville, où le quotidien en apparence banal laisse entrevoir de l'inconnu. À travers des dialogues immersifs et une écriture subtilement décalée, le jeu invite à explorer un univers en équilibre entre le familier et l'étrange.

Embranchements narratifs : une lecture interactive

Développé avec le language Ink d’Inkle, Le Foyer est une fiction interactive entièrement textuelle. On y progresse en cliquant sur des options de dialogue et chaque sélection dévoile la suite de l’histoire ou modifie les interactions avec les personnages. Cette mécanique narrative interactive à embranchements pose les bases d'une expérience de lecture où l'on devient acteur du récit.

Un quotidien décalé : un sentiment d'étrangeté

Dans Le Foyer, je place les joueurs dans un univers au réalisme magique, dans lequel l’ordinaire et l’étrange se frôlent sans jamais se confronter de front. L'aventure interactive met dans la peau d’un·e étudiant·e cherchant à se renseigner sur la vie en foyer — un cadre banal, où apparaissent des détails décalés. Les petites annonces, les échanges avec les personnages : tout parait anodin, mais des fragments d’étrangeté sont présents, comme des accrocs à peine visibles dans le tissu de notre réalité.

Mon but n’est pas de surprendre par des révélations ou des effets spectaculaires. L’étrangeté s’insinue en douceur, portée par des descriptions de choses différentes de notre réalité et des éléments de langage inventés. Je cherche par là à susciter une curiosité, à créer un espace où les joueurs doit prêter attention, observer, et se laisser troubler. 

Une scène point d'orgue de l'étrange

Il y a un moment clé où l’étrangeté s’intensifie, dans le jeu. Au détour d’une confrontation tendue avec des brutes, une figure énigmatique – le·a gardien·ne du foyer étudiant – intervient. Depuis le début du la lecture, cette personne, toujours observée de loin derrière une vitre, ne semble ni accessible ni identifiée clairement. Elle est grande, immobile, porte de grosses lunettes et des vêtements d'un autre âge… elle dégage une impression indéfinissable, comme si elle appartenait à un autre monde. 

À cet instant précis, alors que l'on plonge dans le regard de cette figure imposante, quelque chose se produit. Des images nous viennent qui nous tranquillisent, on ressent un apaisement qui dépasse le simple soulagement. Sans jamais évoquer explicitement l’hypnose, le texte invite à expérimenter une suspension poétique, où toute tension disparaît. Cette scène n’implique aucun surnaturel manifeste : c’est simplement un décalage qui s’installe, une réalité qui vacille le temps d’une rencontre. Elle reflète mon intention de créer un univers où l’étrange ne s’impose jamais, mais s’invite dans les interstices du quotidien, juste assez pour que le joueur en ressente l’écho sans en saisir totalement la nature.

A la lisière du queer : un moment de passage

Ce personnage, comme un second ailleurs dans le jeu, résiste aux a priori de genre. Quelque chose dans son apparence et ses manières échappe à la catégorisation et aux préjugés. Il n'y a pas de militantisme autre que celui de faire co-exister des personnages au genre fluide ou neutre et des personnages dont les masculinités sont typiques, en proportions quasi-égale.

Un jeu dans le jeu : la création d’univers parallèles

Dans Le Foyer, j’ai voulu offrir un moment particulier où les joueurs deviennent créateurs. Inspiré de In This World de Ben Robbins, ce “jeu dans le jeu” met en scène une rencontre avec un habitant qui invite à participer à une expérience de création d’univers. Dans ce mini-jeu, on choisit des vérités générales — sur les animaux, entre autres — pour les transformer et façonner ainsi un monde alternatif (dans lequel les animaux peuvent avoir une religion ou bien posséder leurs propres animaux domestiques par exemple).

Cette parenthèse est une exploration créative de concepts du quotidien, une manière de plonger les joueurs dans un état de réflexion et de liberté, où ils peuvent s’amuser à réinventer les règles de la réalité. Bien que cette création ne modifie pas directement le parcours principal de l’intrigue, elle ajoute une dimension d’immersion et de profondeur : les joueurs deviennent, l’espace d’un instant, un co-créateurs avec moi. 

Le Foyer comme prologue d'un univers existentialiste

Le Foyer a été conçu comme une introduction à un projet de plus grande envergure, dans lequel il jouerait le rôle d'une espèce de création de personnage immersive. Dans cette introduction, les décisions sensibles et actives des joueurs pourraient déterminer des traits de caractère influençant la suite de l’expérience, possibilités de choix et qualité sensible de l'écriture.  Ce projet, bien qu'à une échelle réduite, comprend donc une démarche plus vaste : créer des expériences où les joueurs ne sont pas seulement spectateurs ou consommateurs, mais véritablement co-créateurs de la narration. 

Derrière ce design, il y a l'envie de rendre compte de notre potentiel créateur, y compris dans la réalité du quotidien. En accord avec une vision existentialiste du parcours de vie, l'idée serait de montrer combien des choix de perception, des curiosité, des manières d'agir façonnent nos caractères — tout en nous laissant à tout moment la liberté de changer.