Malédiction !.

Lecture-spectacle incarnée

Détail

Malédiction ! est une lecture-spectacle mettant en jeu une comédienne, un acteur et un contrebassiste, afin de raconter l’histoire tragi-comique d’une famille maudite. Ce récit chorale, suivant des personnages grotesques et magnifiques durant un siècle, s'achève sur un dénouement aussi surprenant qu’émouvant. 

Deux voix pour porter l’intensité et la beauté de la langue

Pour mettre en jeu La Malédiction du bandit moustachu d’Irina Teodorescu, j’ai cherché à transmettre ce mélange unique d’humour noir et de tristesse silencieuse qui m’avait tant touché à la lecture. Le roman utilise la bouffonnerie pour confesser un deuil, mais c'est aussi un livre qui recèle une langue particulièrement savoureuse et originale, que je souhaitais faire entendre au plus grand nombre. Ma seule voix ne pouvant porter seule une telle intensité, je lui ai joint celle protéiforme de la comédienne et doubleuse Anaëlle Manquest, qui se prête à merveille aux multiples nuances de cette galerie de personnages.

Variations de ton, entre sobriété et expressivité

Malédiction ! est une lecture-spectacle hybride, chimérique, à cheval entre l’intimité de la lecture et l'expressivité du théâtre. Le verbe vif et brut de l’autrice poussait à l’interprétation, mais je tenais à préserver la qualité poétique des phrases, sans la masquer par un jeu trop incarné. J’ai donc opté pour des styles de lecture variant du sobre au théâtral, selon les passages. La répartition de la parole entre Anaëlle Manquest et moi-même a également été pensée pour renouveler sans cesse l’écoute : certains textes étaient portés uniquement par l’un ou l’autre, d’autres étaient lus à deux voix par alternance, tandis que des passages particulièrement vivants prenaient la forme de véritables numéros de rythme et d’échos, dans lesquels nos voix se répondaient ou se chevauchaient dans une même phrase. Ce travail minutieux cherchait à restituer l’énergie puissante du roman et faire vivre au public l’intensité d’une lecture solitaire, qui est toujours plus véloce qu'une lecture à voix haute.

La musique, pour raconter ce que les mots taisent

J’ai voulu que la musique soit une voix à part entière, et pas simplement un accompagnement esthétique. Pour cela, j'ai d'abord demandé au contrebassiste Julien Pinel de tisser un discours musical en contrepoint des mots. Pendant les lectures, sa musique pouvait ainsi soutenir ou s'opposer à ce qui était dit ; suivre le rythme des comédiens ou être suivie par eux ; évoquer le décor d'une scène ou révéler les émotions cachées du texte. Ma plus grande fierté est d’avoir confié à Julien des chapitres entiers à interpréter seul avec son instrument, en remplaçant les mots par le son des cordes. Ce défi étant nouveau pour lui, mon travail a consisté à l'aider à retrouver dans sa musique la simplicité et l'expressivité propres au roman, afin qu'il compose des morceaux entiers à partir de passages du livre qui n'étaient pas lus.

Une même image pour l'histoire et le temps

Un spectacle comporte une dimension visuelle, même s'il s'agit d'une lecture ou d'un concert. Je disposais de peu de moyens techniques, notamment pour la lumière, j'ai donc choisi d'utiliser une idée assez simple : chaque feuille du texte, une fois lue, était lâchée au sol, si bien qu'à la fin de la représentation la scène en était jonchée. Ce procédé avait plusieurs effets. Il créait en premier lieu une image chaotique : les feuilles ne tombant jamais d'une manière prévisible, chaque chute évoquait l’incertitude de l'enchaînement des textes, qui se succédaient sans révéler exactement où ils nous menaient.

Plus prosaïquement, cette accumulation marquait l'avancée du spectacle. Pouvoir anticiper le temps restant permet à beaucoup de spectateurs de rester attentif et engagé, et voir ainsi le nombre de feuilles A4 se réduire entre nos mains informait à tout moment du temps qu'il nous restait à jouer. Enfin, le texte tombait comme des feuilles mortes, faisant ainsi écho à l’arbre généalogique de cette famille maudite. Figuré sur un tableau noir en arrière-plan, il semblait perdre ses membres un à un, comme entrant dans l’hiver. La dernière feuille tombée, c'était finalement le mot "fin" qui n'avait pas besoin d'être dit.

Une émulation de lecture

Le retour le plus touchant fut celui d’une spectatrice qui m’a confié avoir ressenti les mêmes émotions à la fin de l’heure de Malédiction ! qu’en lisant les derniers mots du roman. Cela signifiait que j’avais su rester fidèle à l’esprit du livre, tout en apportant ma propre sensibilité. Notre rôle, en effet, n'était pas de nous interposer entre le texte et les spectateurs, mais d’incarner un "pont sensible" entre eux. 

L'accès à la lecture nous est inégalement accessible, selon notre bagage culturel et notre éducation ; en créant cette forme chimérique, je souhaitais transmettre quelque chose de l’expérience réelle de la lecture, plutôt qu'un pâle reflet sous forme de lecture musicale. Ce retour m’a confirmé que je m’étais approché de ce but. 

 

 

Data

Année : 2017

Rôle : porteur du projet

Fonctions : Dramaturge, Metteur en scène, Comédien

Équipe : Annaëlle Manquest, Julien Pinel

Texte : La Malédiction du bandit moustachu

Autrice : Irina Teodorescu