Vanité est un jeu narratif à énigmes explorant l'horreur de la littérature macabre française du 17ème siècle. Jeu complet, il a été réalisé par une équipe de cinq personnes, en 48h dans le cadre de la Game Jam des Rendez-vous de l'Histoire. Conçu avec une doctorante en littérature, il est fondé sur un ouvrage méconnu de la littérature horrifique française qui s'inscrit dans l'imaginaire macabre : Les Spectacles d'horreur de Jean-Pierre Camus.
Gameplay simple et immersion dans la littérature horrifique
Entre le visual novel et le jeu d'aventure, Vanité a une mise en jeu très simple :
- Déplacement d'un personnage dans un environnement 2D horizontal, à la souris ou bien avec les flèches du clavier.
- Sélection des réponses dans des boîtes de dialogue à la souris.
Nous souhaitions initier les joueurs à un univers méconnu de la littérature horrifique française. Bien avant les romantiques, l'imaginaire macabre, influencé par la morale religieuse, donnait naissance à des récits sanglants et monstrueux. À partir d’un court récit, nous avons cherché à plonger les joueurs dans cet univers, comme s'ils en faisaient eux-mêmes la lecture.
À la fin, cependant, le jeu se retourne contre le joueur. Les règles de choix des réponses volent en éclat quand toutes les options, au survol du curseur, se transforment en aveu. Ces aveux grandissent tant que le joueur ne clique pas dessus, matérialisant l'immense culpabilité qui envahit l'esprit du personnage principal, jusqu'à remplir l'écran de jeu.
Ressentir la pression religieuse du 17ème siècle
Pour dépasser le simple récit illustré, j'ai voulu que les joueurs ressentent un peu de la pression que le dogme religieux de l'époque imposait aux gens. Un système d'énigmes morales, servant de portes successives, accompagne le joueur jusqu’à la fin et permet d’atteindre cet objectif.
Défis d'écriture : authenticité vs accessibilité
Deux difficultés sont apparues à l'écriture : retranscrire quelque chose de la langue de l'époque et rester fidèle au caractère catholique du récit, le tout sans trop exclure de joueurs. Ainsi la première version des énigmes était trop poétique et obscure pour être accessible au plus grand nombre. J'ai donc révisé cette approche, en m'appuyant sur des références religieuses populaires comme les sept péchés capitaux et en intégrant des choix qui se jouent des mots et de la morale.
Un chemin tragique : une "vraie" fin inéluctable
L'histoire suit une voie inexorable : le personnage principal court à sa perte. Nous avons respecté au maximum le message édifiant du texte original, qui montre la punition des pécheurs. La "vraie" fin, celle qui récompense un parcours complet du jeu, mène à une mort par terreur, comme dans tous les récits de cet auteur. Cependant, une erreur fatale, révélant un "mauvais" pécheur, permet au joueur de survivre en embrassant la pénitence. Ce renversement du schéma habituel est logique : terminer le jeu en tant que pécheur accompli mène au destin inévitable. Nous avons respecté l’œuvre au point que le dernier dialogue reprend mot pour mot ceux de la nouvelle.
Réconcilier la mort inévitable et la sensibilité des joueurs
Adopter une issue tragique, un procédé courant dans la littérature, le théâtre ou le cinéma, ne me posait pas de problème en soi. Mais c'est une chose de voir un personnage se précipiter vers la mort, c'en est une autre de l'incarner comme joueur. Pour rendre l'expérience plus tolérable, nous avons créé une montée progressive de l'horreur : musique, apparence des interlocuteurs, dialogues, tout prépare le joueur à l'issue fatale. De même, la révélation ironique finale, et la suppression finale de la liberté de choix, atténuent l'incarnation pour replacer le joueur en spectateur. La fin, avec un jumpscare résolument contemporain, tente aussi de conjuguer fidélité à l’œuvre et respect de la sensibilité des joueurs.
Un modèle narratif adaptable à d'autres œuvres littéraires
C'est un jeu complet - une gageure pour un jeu de game jam de 48h. Toutes les pistes d'amélioration concernent le polish du jeu, mais je le considère achevé. En revanche, ce design pourrait être appliqué à de nombreuses autres nouvelles fantastiques ou horrifiques. Il a la vertu, s'il est maîtrisé, de rapprocher l'expérience de celle de la lecture sans trahir le media jeu vidéo.